Le 28 novembre 2024, l’association Shift Project a rendu public son rapport sur la décarbonation de l’agriculture. Que dit-il sur l’agriculture biologique ? Quelles nouvelles perspectives les scénarios développés par le shift Project donnent-il ?
Le rapport du Shift Project a pour objectif d’éclairer le débat public sur la décarbonation du secteur de l’agriculture, qui représente à lui seul 20% des émissions de gaz à effet de serre (GES) de la France (HCC, 2024). D’ici 2050, la France s’est engagée à réduire ses GES dans le secteur de l’agriculture de -46%, par rapport aux émissions de 2015.
Ainsi, le secteur agricole devrait passer de 74 Gt CO2eq émises actuellement par an à 48 Gt CO2eq en 2050. Les émissions de N2O seraient réduites de 15% ; celles du méthane de 30%.
Rappelons que le secteur agricole est celui dont l’ambition d’atténuation des émissions de GES est la plus faible par rapport aux autres secteurs économiques. En effet, la France reconnait le caractère incompressible des émissions de GES destinées à la production agricole. Par exemple, les secteurs du bâtiment et des transports, quant à eux, doivent respectivement baisser leurs émissions de 95 et 92% par rapport à 2015 (SNBC2).

Le Shift Project a étudié plusieurs scénarios, tous respectant les objectifs français de réduction des émissions GES de la France.
4 scénarios de décarbonation, en fonction de 4 objectifs stratégiques :
Les trois premiers scénarios envisagés par le Shift Project visaient de grands objectifs stratégiques inhérents au secteur agricole :
- Une meilleure autonomie agricole et alimentaire en France
- Une meilleure indépendance énergétique nationale
- Une contribution à la sécurité alimentaire mondiale
Cependant, ces trois premiers scénarios reposaient sur de nombreux compromis du secteur agricole, notamment une forte diminution du cheptel, irréaliste à la fois sur le plan économique, mais aussi parfois agronomique.
C’est pourquoi le Shift Project propose un quatrième scénario intégrant tous les enjeux de l’agriculture, lui permettant à la fois d’être résiliente face aux changements climatiques tout en conservant l’objectif de décarbonation régit par la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC).
Ce scénario dit de conciliation est le scénario le plus viable selon le Shift Project, qui explique tout de même que de nombreux enjeux n’ont pu être pris en compte, comme par exemple les contraintes et transitions liées à l’agroalimentaire, ou les débouchés et filières à créer.
Un scénario qui repose peu sur l’AB contrairement à d’autres
Le scénario de conciliation porté par le Shift Project décrit trois grands modèles agricoles en productions végétales. Les productions végétales représentent la plus grande part de Surface Agricole Utile (SAU) en France. Dans les 4 scénarios, il y a 75% d’agriculture dite intégrée et raisonnée, et 25% d’agriculture biologique en 2050. Les agricultures dites intégrées et raisonnée n’ont pas de définition ni de cadre précis, ils reposent sur des baisses d’IFT (indices de fréquente de traitements herbicides, pesticides) contrairement à l’agriculture biologique dont le cahier des charges européen protège des ce mode de production.
D’autres scénarios prospectifs ont été créés par d’autres acteurs de l’agriculture et de l’énergie. Citons par exemple, les scénarios de l’ADEME (Transitions 2050). Parmi les 4 scénarios de transition développés par l’ADEME deux s’appuient sur l’AB pour réussir le défi d’une agriculture résiliente et prospère. Le scénario de Coopération des territoires est basé sur une SAU bio à 50%, et celui de la Génération frugale fait se développer l’agriculture biologique à 70%. L’ensemble des scénarios répondent à l’enjeu de la réduction des émissions de GES posé par la SNBC.
Les scénarios AFTERRES et TYFA mettent eux aussi beaucoup en avant l’agriculture biologique. Ce modèle fonde les changements de pratiques des agricutleur.ice.s du futurs.
Comment se représenter les changements du scénario du Shift sur l’agriculture française, en 2050?
Le scénario de conciliation envisage de réduire la dépendance du secteur aux énergies fossiles mais également de rendre l’agriculture plus résiliente face au changement climatique. Pour cela, le scénario se base sur la baisse de l’utilisation d’engrais de synthèse de 70%, mais aussi la baisse de l’utilisation de phytosanitaires de 50%, et la limitation des usages énergétiques directs de l’agriculture d’un tiers environ.

Pour mener à bien ses ambitions, le scénario de conciliation passe par des changements de pratiques agricoles mais aussi des mutations de l’élevage français.
- Les effectifs animaux diminuent, mais moins que la tendance actuelle. Les émissions de méthane baissent grâce à une baisse de cheptels. Le scénario entend faire de l’innovation génétique un levier fort de la baisse d’émission du méthane entérique.
- Les émissions d’azote sont réduites par le moindre usage d’engrais de synthèse. Les sols français sont donc fortement enrichis en azote organique, crées par les cultures de légumineuses dans des prairies temporaires. Aujourd’hui la majorité des intrants organiques sont utilisés en agriculture biologique.
- La biomasse créée par une couverture quasi-totale des sols agricoles permet de stocker du carbone dans les sols mais aussi d’alimenter des méthaniseurs dont l’épandage du substrat fertilise aussi les sols.
- Les haies, l’agroforesterie sont monnaie courante en 2050 mais les prairies permanentes, censées servir de base à un élevage de plus en plus pâturant, disparaissent pour 10% d’entre elles, au profit de la mise en place de vergers, favorisant la souveraineté alimentaire. Le destockage de carbone serait alors compensé par la présence d’arbres et la couverture des sols agricoles.
- Le semi direct est appliqué sur 65% des surface en grandes cultures. Le semi direct est aujourd’hui utilisé ponctuellement ou en agriculture de conservation des sols. Aujourd’hui 2 à 4% des agricutleur.ice.s pratiquent l’ACS en France, selon l’APAD. L’agriculture de conservation des sols repose sur les herbicides (dont l’usage doit diminuer de 50% avec les pesticides dans le scénario de conciliation) pour favoriser la réussite des productions.
- Les cultures intermédiaires* sont présentes sur 93% des surfaces de grandes cultures.
- La culture de légumineuses en cultures principales et associées est généralisée : dans les cultures spécifiques (multiplication x2,31 des surfaces en protéagineux et x3,70 du soja spécifiquement) mais aussi dans les couverts végétaux (x2,78 des surfaces en cultures fourragères légumineuses c’est-à-dire en prairies temporaires à dominante légumineuses).
- Les surfaces agricoles irriguées sont plus nombreuses (25% de SAU en plus, 32% de demande de volume en plus) malgré une baisse importante du recours aux cultures de maïs, dû à la plus forte implantation d’élevages bovins pâturants. Cela questionne l’adaptabilité de la France face aux bouleversements climatiques alors que la recherche indique que l’eau utilisable sera moins disponible en 2050.
- La population agricole reste la même alors que de nombreux organismes agricoles alertent sur le risque accru de diminution du nombre d’agriculteur.ice.s français. Rappelons que d’ici 10 ans, la moitié de la population agricole sera en âge de partir à la retraite.
La Bio est quasi absente, de manière explicite, de ce scénario. Le Shift exprime clairement que les enjeux de l’eau, de la biodiversité n’ont pas pu être traités dans le rapport, pour définir une agriculture et des pratiques qui permettent une meilleure adaptation.
Il est cependant important de rappeler que l’agriculture biologique est bonne pour la biodiversité : +32% de biodiversité dans les parcelles bio (ITAB) et la qualité de l’eau. L’agriculture biologique comporte également des atouts pour l’indépendance énergétique, l’autonomie de la ferme France ; dont les autres scénarios du Shift parlent aussi. Le scénario de conciliation du Shift semble porter une ambition forte sur la réduction des engrais de synthèse, sur des pratiques plus durables pour l’élevage et sur la complexification des rotations. Autant de pratiques que le cahier des charges bio induit.
*Les cultures intermédiaires sont des culture implantées entre deux cultures dites principales, dans une rotation. Elles peuvent remplir un rôle agronomique de couverture et fertilisation des sols, mais aussi économique car leur récolte peut servir de nouveau débouché pour la ferme. Ex : les Cultures Intermédiaires à Vocation Energétique.
Un ensemble de recommandations, en accord avec une politique de développement de l’AB
Au-delà des scénarios prospectifs, le Shift propose des recommandations pour les décideurs publics, les collectivités, les organismes agricoles, les agriculteur.ice.s. Parmi ces recommandations, de nombreuses sont en accord avec ce que défend la FNAB quotidiennement :
- Le Shift recommande aux pouvoirs publics de soutenir les prix de l’agriculture biologique, notamment en faisant respecter la loi EGAlim.
- L’association explique que la transition agroécologique du monde agricole ne s’effectuera pas sans hausse des prix. La notion de paiement pour services environnementaux est également mentionnée. Rappelons
que l’aide au maintien de l’agriculture biologique a été supprimée dans la PAC et que la FNAB réclame une revalorisation du montant de l’« écorégime bio » (aide du premier pilier de la PAC) qui est actuellement trop faible pour sécuriser le revenu des agriculteur.ice.s bio.
Enfin, les collectivités devraient, d’après ce rapport, soutenir les productions qui permettent une meilleure autonomie territoriale, mais aussi celles qui s’adaptent le plus au changement climatique. C’est le cas des fermes bio dont de nombreux témoignages démontrent la volonté des agriculteur.ices bio à s’autonomiser agronomiquement, et territorialement, à s’adapter au climat futur et à développer des circuits économiques courts. La vente directe représente 14% des ventes de produits bio à l’échelle nationale (source : Agence Bio). En parallèle de nombreuses initiatives de filières bio territorialisées émergent partout en France.
En résumé, le rapport du Shift Project met en avant la nécessité de réfléchir aux futurs de l’agriculture pour répondre à la fois aux ambitions françaises de décarbonation du secteur et aux enjeux d’adaptation au changement climatique. Ce nouveau scénario montre que les solutions sont multiples pour répondre à ces enjeux.