Restaurer et préserver des sols vivants et fonctionnels : quels enjeux ?
La préservation et l’amélioration de la qualité des sols, fournissant de nombreux services écosystémiques, est un enjeu crucial pour la production agroécologique, la régulation des flux et de la qualité de l’eau, la régulation du climat et la conservation de la biodiversité.
La question de la dégradation des sols a suscité récemment l’attention de la Commission Européenne, qui estime que 60 à 70 % des sols européens sont dégradés, et qu’entre 61 et 73 % des sols agricoles de l’UE sont touchés par l’érosion, la perte de matière organique, l’excès de nutriments (azote) et le compactage.
L’Agriculture biologique partage cet enjeu de préserver la qualité des sols et de disposer de sols vivants multifonctionnels
L’agriculture biologique bénéficie depuis les années 1980 d’un cadre réglementaire encadrant sa définition et ses pratiques. Elle exclut notamment l’emploi d’engrais et de pesticides de synthèse et repose sur des pratiques visant l’entretien de la vie des sols, qui contribuent grandement à la fertilité physique, chimique et biologique de ces derniers.
→ Dans les faits, quels liens entretient la bio avec les sols ? De quelles connaissances dispose-t-ton sur les externalités de la bio sur les sols ? Quels sont les axes de travail et de recherche sur ce thème ?
Comment la bio participe-t-elle à la préservation de la qualité des sols ?
Un récent rapport de l’ITAB a permis de quantifier les externalités de l’Agriculture Biologique. A bien des égards, l’agriculture biologique présente des atouts dans la protection des sols.
Tout d’abord, les indicateurs de biologie des sols – abondance, diversité, fonctions assurées par les organismes vivants des sols – sont améliorés de 70% par rapport à l’agriculture conventionnelle, et ce malgré le travail du sol.
De plus, la recherche montre que la quantité de matière organique et le stock de carbone dans les sols conduits en bio sont plus importants : de 11% à 35% de carbone organique en plus.
On constate enfin que les sols cultivés en bio sont significativement moins contaminés en résidus de pesticides : moins de molécules et à des teneurs inférieures.
Ces externalités positives s’expliquent par des rotations plus longues et plus diversifiées en agriculture biologique, intégrant souvent prairies, légumineuses et couverts intermédiaires multiservices, ainsi que par les pratiques de fertilisation à base de produits organiques et enfin, par l’absence d’utilisation de pesticides de synthèse.
La bio et le travail du sol
Le travail du sol est une pratique ancestrale dont l’objectif principal est de créer un environnement favorable à la germination des graines. La pratique du labour, technique de travail du sol très répandue en France, consiste à retourner la couche arable sur une certaine profondeur pour l’ensemencer de nouveau. Cette pratique permet d’enfouir les pailles et de contrôler les adventices grâce à l’enfouissement de leurs graines et de sécher le sol en année humide pour pouvoir semer.
Si la mise en place de couverts végétaux et les rotations diversifiées sont des leviers agronomiques plébiscités en bio, la gestion de l’enherbement nécessite en revanche dans certains cas de recourir à un travail du sol fréquent voire intensif pouvant dégrader la qualité du sol pour son usage agricole : tassement, érosion, limitation de la circulation et de la capacité de rétention de l’eau, baisse de la quantité de matière organique en surface, impact sur la macrofaune des sols…
Quels axes de travail et de recherche pour améliorer la qualité des sols en bio ?
De plus en plus d’agriculteurs bio, du réseau FNAB notamment, sont attentifs à cet enjeu, reconsidèrent leur système de culture et cherchent à adapter leurs rotations, assolements et itinéraires techniques en travaillant notamment la question des couverts végétaux (composition du mélange d’espèces, implantation en association avec les cultures, couverts semi-permanents..), ainsi que celui de la réduction du travail du sol (diminution de la profondeur et de la fréquence de travail ; la suppression totale du travail du sol restant compliquée en bio dans certains contextes pédoclimatiques). Le défi est de taille avec des difficultés de gestion de l’enherbement ou d’un couvert sans herbicide, et de maintien des rendements des cultures qui peuvent se poser.
Cette dynamique est proche de l’agriculture régénérative, si l’on prend ce mot dans son acception originelle. Selon une note d’IFOAM[1], le concept d’agriculture régénérative est apparu dans les années 1980, promu notamment par le Rodale Institute aux Etats-Unis, qui souhaitait développer et renforcer le mouvement de l’agriculture biologique, et mettre en lumière l’objectif de l‘agriculture biologique en faveur de la régénération des sols et de la biodiversité. Ainsi, à l’origine, agriculture régénérative et agriculture biologique étaient intrinsèquement liées. A noter que l’utilisation du terme d’agriculture régénérative, qui ne bénéficie pas de cadre réglementaire reconnu, s’est amplifiée ces dernières années, avec des définitions associées variables, voire divergentes, laissant parfois de côté les principes de l’agriculture biologique pour ne se concentrer que sur la protection et la régénération des sols.
Cette dynamique de recherche et innovation peut se rattacher également au terme « d’Agriculture Biologique de Conservation des sols (ABC) », qui cherche à combiner les principes et outils de l’agriculture biologique et ceux de l’agriculture de conservation des sols (non-travail du sol, couverture végétale maximale et rotation diversifiée). En France, l’association des Décompacté.es de l’ABC s’attache à réunir agriculteurs, chercheurs, acteurs territoriaux et citoyens pour développer cette Agriculture Bio de Conservation des sols. Selon l’association, « l’ABC stricte reste aujourd’hui un idéal et nombre d’agriculteurs de différents réseaux s’y frottent, essayent et creusent en local ou individuellement le sujet. Ces pionniers ouvrent des pistes prometteuses pour réussir une Agriculture Biologique durable permettant d’agrader ou de conserver la qualité des sols. »
[1] Regenerative Agriculture & Organic – Position Paper – IFOAM – February 2023
Article écrit par Catherine Golden, chargée de mission grandes cultures, semences & PPAM (FNAB)