Irriguer en bio : retour d’expériences de producteurs

En agriculture biologique, on irrigue aussi. Quatre paysans du réseau FNAB témoignent de leur utilisation de l’eau sur la ferme et illustrent la recherche d’équilibre portée par l’agriculture biologique : entre sécurisation de la production et sobriété.

En agriculture biologique, on irrigue aussi. Quatre paysans du réseau FNAB témoignent de leur utilisation de l’eau sur la ferme et illustrent la recherche d’équilibre portée par l’agriculture biologique : entre sécurisation de la production et sobriété. Au-delà de l’irrigation, chacun d’eux cherche des moyens de s’adapter au changement climatique et de limiter ses prélèvements en eau, par l’expérimentation de nouvelles pratiques, mais aussi de la gestion collective de la ressource.

Vincent : maraicher en Maine-et-Loire

Vinent est maraicher dans le Maine et Loire sur le bassin du Layon. La zone connait une tension structurelle sur la ressource qui conduit à des restrictions sur le développement de l’irrigation.

Installé en 1998 sur 2,5 hectares en maraichage diversifié, il a rapidement investi dans du matériel pour sécuriser l’approvisionnement en eau de son exploitation récupération d’eau de pluie sur ses serres, réalisation d’un forage peu profond, recours à des asperseurs et au goutte à goutte pour l’irrigation. Afin de s’adapter au manque d’eau et aux restrictions, Vincent a commencé à adapter ses pratiques. Il a notamment augmenté le taux de matière organique de 1,7 à 4% grâce à des apports extérieurs, à l’utilisation de couverts végétaux et au pâturage des animaux sur certaines parcelles. Il constate une réelle amélioration en termes de stockage de l’eau en période sèche et de réduction du ruissellement en période humide. Le pilotage fin de son irrigation vient compléter ses pratiques d’adaptation.

Vincent Favereau _ Irrigation bio

La zone connait déjà des restrictions structurelles (limitation des volumes et du développement des ouvrages de prélèvement) et conjoncturelles (arrêtés sécheresse de 2022), mais ne bénéfice par encore d’une gestion collective de l’irrigation (type OUGC[1]). L’accès à la ressource devient limitante pour l’installation de petites exploitations telles que la sienne : le matériel et les études nécessaires à l’installation peuvent coûter jusqu’à 60 000 €, tandis que la réglementation interdit les nouveaux prélèvements dans la nappe. Vincent voit donc le développement d’une gestion collective, telle qu’elle se pratique dans des bassins voisins comme celui de l’Authion, comme une bonne chose à condition qu’elle permette de réellement mettre sur la table les questions de partage de l’eau entre agriculteurs, de priorisation des cultures à irriguer et d’installation de nouveaux exploitants. La constitution de groupes d’agriculteurs dédiés à la question de l’eau, tels que l’a développé le groupement des producteurs bio d’Anjou (GABBanjou), est également un bon moyen d’essaimer les pratiques d’adaptation et de sobriété.  

[1] Organisme Unique de Gestion Collective

Anthony : éleveur laitier en Vendée

Anthony est éleveur laitier en Vendée sur une ferme de 133 ha avec 70 vaches laitières. Il a repris la ferme de ses parents en 2014 et l’a convertie en bio.

Le territoire a une longue histoire liée à l’irrigation. Les sols peu profonds ont une faible réserve utile mais une nappe très réactive est facilement accessible. L’irrigation commence donc à se développer directement après la sécheresse de 1976. A l’époque, les prélèvements se font via le développement des forages individuels. Leur multiplication conduit à une situation alarmante : au début des années 2000, le marais poitevin atteint des niveaux très bas en été.  En réponse, une gestion collective est mise en place et les réserves de substitution collectives viennent remplacer les forages individuels.

L’irrigation arrive en 1992 sur la ferme d’Anthony, qui fonctionnait à l’époque sur un modèle intensif conventionnel centré sur le maïs et le soja pour l’alimentation des vaches et des cultures de vente telles que le maïs grain et la mogette. Depuis le passage en bio, l’alimentation des animaux est passée quasi intégralement à l’herbe et les cultures de vente ont été abandonnées. L’irrigation est restée : elle permet de sécuriser l’alimentation de cultures essentielles à l’autonomie fourragère.  Anthony utilise le quota dont il dispose sur ses prairies pour gagner une coupe de foin en fin de printemps et faciliter la reprise de la pousse à l’automne (20 mm par passage). Les cultures énergétiques et protéiques sont devenues marginales sur la ferme mais bénéficient également de l’irrigation. Ce changement de système centré sur l’alimentation à l’herbe du troupeau a permis de réduire la consommation d’eau de moitié passant de 102000 à 51000 m3 par an. Anthony s’appuie également sur d’autres leviers d’adaptation qui lui permettent de diminuer l’irrigation :

  • Investissement dans du matériel d’irrigation plus performant (pivot) ;
  • Travail sur des espèces résistantes à la sécheresse : blé, féverole, maïs population ;
  • Plantation de 500 mètres linéaires de haie par an pour limiter l’évapotranspiration.

L’irrigation permet de sécuriser l’alimentation du troupeau, qui sinon devrait être au moins en partie décapitalisé (de 0.8 à 0.4 UGB/ha). Néanmoins, Anthony rappelle que l’irrigation est une charge importante pour l’exploitation : avec 100 ha irrigables, c’est d’abord du temps de travail. Les charges courantes liées à la gestion collective s’élèvent entre 25000 € et 30000 € par an, représentant ainsi la première charge d’exploitation.

Frédéric, viticulteur dans l’Aude

Frédéric est vigneron bio indépendant, installé avec son épouse sur 15 ha dans le Minervois entre Narbonne et Carcassonne. Le raisin est vinifié sur place en appellation Minervois et Pays d’Oc. 

Le territoire connait un important déficit hydrique depuis 2022 avec des précipitations inférieures de moitié à la normale. Les aléas climatiques s’enchainent et rendent la moyenne de production incertaine.

L’exploitation de Frédéric bénéficie de la proximité du canal du Midi, qui garantie l’accès à l’irrigation. Pour autant, Frédéric utilise l’irrigation dans la perspective de lisser les aléas climatiques, et non de produire un volume maximum. Sur ses 10 ha irrigués, il peut ainsi apporter 100 à 150 mm par an maximum, là où les exploitations conventionnelles environnantes peuvent apporter jusqu’à 600 mm.

Frédéric Schwertz _ irrigation bio

Afin de s’adapter au changement climatique et limiter ses volumes d’irrigation, Frédéric mène une réflexion à plusieurs niveaux :

  • Implantation des parcelles : à la fois sur l’orientation des rangs et la place de l’arbre autour et à l’intérieur des parcelles ;
  • Apport de matière organique : Frédéric constate qu’avec l’augmentation des taux de matière organique, les sols ont une meilleure capacité de rétention de l’eau ;
  • Couverts végétaux en inter saison : Frédéric fait de nombreux essais sur le type de couvert et la méthode de destruction. La sécheresse persistante limite toutefois leur implantation.

L’optimisation de l’irrigation se fait aussi par l’adaptation du matériel d’irrigation : en passant du canon, très peu économe, au goutte à goutte ; couplée au suivi hydrique du conseiller viticole.

Frédéric constate plusieurs problèmes de gestion de l’eau dans la filière viticole locale. Les viticulteurs en cave coopérative sont souvent incités à produire « du volume », en s’appuyant notamment sur l’irrigation. Cela conduit souvent à une surproduction dont l’issue est la distillation, c’est-à-dire une production à faible valeur ajoutée. Dans le même temps, des productions pour l’alimentation humaine, telles que le maraichage, peinent à obtenir les volumes d’irrigation nécessaires. Enfin, les restrictions sécheresse s’appliquent en proportion des apports historiques (par exemple la réduction de 50%), ce qui pénalise ceux qui irriguent déjà peu.

Olivier : céréalier dans le Loiret

Olivier produit des grandes cultures bio dans le Loiret sur 250 ha. La nappe de Beauce sur laquelle se situe l’exploitation est en zone de répartition des eaux et compte depuis 1999, neuf OUGC qui doivent assurer la répartition des volumes d’eau entre les irrigants. La ferme d’Olivier fait partie de l’OUGC du Montargois.

Olivier a vu la ferme de ses parents durement impactée par la sécheresse de 1976. Lorsqu’il la reprend en 1990, il subit également trois années de sécheresse consécutives. Il fait donc le choix d’investir dans l’irrigation en 2000, avec la construction de deux forages sur la nappe de Beauce.

Olivier Chaloche _ irrigation bio

Avec l’irrigation, Olivier ne cherche pas à maximiser son rendement, mais à optimiser la production par des apports sur les moments clés des cultures. Il ne fait que 3 à 4 passages d’eau là où les recommandations en autorisent jusqu’à 7. Il gère également son assolement en fonction du volume d’eau qui lui est attribué.

Pour Olivier, l’agriculture biologique permet de gérer le risque climatique : les rotations de cultures très diversifiées sur sa ferme font qu’au moins une partie de la production sera en phase avec le climat. Olivier constate également que la qualité du sol sur sa ferme permet une bonne infiltration de l’eau, contrairement à des parcelles voisines cultivées dans un système plus intensif.

La gestion collective mise en place dans les années 2000 a permis de réguler et de suivre les prélèvements (notamment via les compteurs). Néanmoins l’attribution annuelle des volumes reste assise sur une base historique, que les agriculteurs n’ont pas intérêt à remettre en question. Olivier constate que cette difficulté à repartager les volumes attribués historiquement bloque l’installation de nouvelles productions, telles que le maraichage, bien que les volumes nécessaires soient modestes.

Article écrit par Clément Charbonnier, chargé de mission Eau (FNAB)

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